"J'aurais le droit de garder mon voile?" fut la seule question que je posai après ma condamnation. Bien sûr il y en avait des centaines d'autres dans mon esprit torturé. Pourquoi la justice est si mal ficelée? Pourquoi je me retrouve en prison et si injustement accusée? On jurerait qu'on a bâclée mon procès. Cette juge… Elle était bien jolie. J'aurais du me méfier d'elle. Prête à m'envoyer en prison après son premier coup de marteau. Je vous jure. Dans quel monde évoluons-nous? Je suis toutefois résignée à accepter mon sort avec toute la dignité qu'on me connaît. La tête droite, le regard caché de tous.
Je fixe un point sur la paroi du camion blindé. C'est fort inconfortable là-dedans. Ça ne sied pas à ma grandeur. J'ai bien essayé de le faire comprendre au conducteur et à celui qui m'accompagne, mais les deux brutes m'ont rit au nez. J'ai pourtant gardé la tête froide. Comme toujours. Il n'est pas question que je me montre rustre devant ces gens… rustres. Vêtue d'une de mes habituelles robes noires et longues, je porte sur ma tête mon voile de deuil. Celui-ci descend sur mon bras droit, couvrant négligemment ma main gantée. Mes yeux, mon visage, tout cela est invisible aux yeux des gens. Mais moi je les distingue presque parfaitement, dans une demi-obscurité permanente.
Le camion a une légère embardée, je passe à un cheveu de tomber face contre terre, mais je me reprends. Pas question que je m'aplatisse platement devant ces hommes. Encore une fois, ils se riraient de moi. Je n'ai pas envie. Personne, non personne ne s'est moqué de moi comme ces ceux-là l'ont fait depuis notre départ pour la prison qui deviendra ma nouvelle demeure. Je méprise les hommes de leur espèce. Mais je ne peux pas me permettre de leur rabattre le clapet. Je suis en assez fâcheuse posture et je n'ai pas envie qu'ils me le rappellent sèchement.
Finalement, après plusieurs autres railleries, (il y en a même un qui a voulu soulever mon voile, non mais…) nous nous arrêtons enfin. La porte s'ouvre, laissant entrer la forte lumière propre à cette heure du jour. Je ferme les yeux, puis les rouvre pendant qu’on me tire par le bras. J'avance par moi-même. Je ne suis pas une chienne. Je n'ai pas besoin qu'on me guide de la sorte. S'ils craignent que je m'enfuie, ils ne me connaissent pas. Je suis forte. Les épreuves ne me font pas peur, même si je dois avouer que je préfèrerais me trouver ailleurs qu'ici.
On ouvre une grande porte métallique devant moi. Sans douceur, on me jette à l'intérieur. J'entends un grincement sinistre. Ses menottes m'empêchent de replacer ma robe comme il se doit. Je dois le faire de derrière. En me tortillant bêtement, je surveille les alentours. Pas envie de me faire surprendre dans une danse si peu élégante. Mais mon œil aiguisé me rassure. Il n'y a personne. J'époussette comme je peux mes vêtements froissés. Quand je semble plus ou moins présentable, je regarde ce qui m'entoure. Aussitôt, je suis saisie. Bien que n'importe qui voie sans doute cet endroit comme une cage aride et désertique, moi, j'y vois la beauté des années passées. Cet endroit est sauvage, me rappelle les plaines inhabitées de contrées lointaines. Magnifique. Mike aurait adoré peindre cet endroit.
Mike. Ça remonte à loin cette histoire. Je chasse mes sombres pensées en secouant la tête. Je n'ai pas envie de repenser à cette histoire, ni à aucun de mes précédents mariages. Finalement ce paysage n'est pas si beau. (j'essaie de m'en convaincre voyez-vous, car je continue de le trouver merveilleusement poétique) Je lève le nez au ciel. Le soleil est bien haut. Il doit être passé midi, mais de très peu. Je me tourne lentement vers l'édifice en vieilles pierres. Archaïque. Son histoire doit être terriblement intéressante. Je me demande s'il y a une bibliothèque là-dedans. Peut-être y trouverai-je un livre relatant des effets de la guerre sur cet endroit.