Insomnie Chronique [Brigitte]

Je n'ai pas fermé l'œil depuis plusieurs nuits. Je me sens épuisée, et si on pouvait me voir sous ce voile que je porte, l'on verrait un creux effroyable sous mes pauvres yeux fatigués. La cause de cette insomnie ? Seul le Seigneur le sait, et visiblement il ne veut pas partager ses secrets. Je fais rapidement le signe de la croix. Désolée mon Seigneur tout puissant et adoré. Vous direz à vos sujets ce que vous voulez bien leur dire. Je termine par un petit signe de prière, court, quelques secondes, tout au plus. Ce n'est pas parce que tout le monde me voit comme la meurtrière que je ne suis pas que je dois manquer de manière envers notre Sauveur.

Qu'est-ce que je peux faire pour chasser cette indicible fatigue ? Elle m'attaque comme un fauve, me fait souffrir, rend mes os et mes muscles douloureux et tendus. Les rares moments où je ferme les yeux, je vois ces horribles flammes dévastatrices. Juste d'y penser, mes doigts fins se serrent. Elle m'attend quand moi je m'y attends le moins. Je gémis, la tête me tourne. Je me pose sur un fauteuil autrefois molletonné, mais tant de gens se sont assis dessus qu'il est maintenant tout plat et dur. Mon dos me hurle de me coucher quelque part. Non. Je passe doucement ma main contre ma colonne, essaie de trouver une position confortable sur cette chaise miteuse.

Il y a tant que je peux endurer. J'ai enduré des maris insupportables, seulement pour ne pas faire honte à ma famille, pour ne pas me faire honte à moi, ni à eux. J'ai enduré milles tourments à cause de ces hommes. M'accuser aujourd'hui de leur meurtre, c'est totalement scandaleux ! Totalement ! Je suis une dame noble, bien élevée. Jamais je ne lèverais la main sur un homme à qui je me suis liée. Et Dieu seul sait à quel point j'en ai arraché avec eux. Mais je n'ai pas le droit de me plaindre. Les voies du Seigneur sont impénétrables. Probablement qu'il me réserve un doux destin dans l'avenir, près ou loin.

Je grimace à nouveau. Ces maudits muscles, je ne les endure plus. Mes yeux veulent se fermer d'eux-mêmes, mais je relève la tête, étire les paupières. Je ne veux pas revoir ces flammes. Pourquoi recommencent-elles à me hanter maintenant ? Je croyais que c'était terminé.

Je ne devrais pas attendre. Je devrais aller à l'infirmerie, me faire prescrire des somnifères pour dormir d'un sommeil paisible, sans rêve. Je devrais y aller, mais cela impliquerait de me faire examiner, de retirer mon voile, de me montrer à la face du monde. Non. Ce côté de mon corps est à moi, seulement à moi, et personne ne doit le voir. C'est beaucoup trop laid pour être vu. Qu'ils se contentent de ce qui reste de beauté en moi. Ce côté de mon corps me plait, il me rappelle mes jeunes années, avant l'incident.

Peut-être qu'il n'y a rien de plus à dire à ce sujet, plus rien à cogiter. Je deviens folle à force de rester dans cet endroit, moi qui ai toujours aimé les enfants, les grands espaces … Les enfants, je n'en ai jamais eus, et Dieu sait que j'en voulais. Je soupire, mais l'exhalation se transforme en une puissante quinte de toux, qui me force à me pencher en avant. Cela aussi ça me reprend depuis quelques semaines, depuis que je repense au feu, comme si j'étais toujours dans la fumée. Je continue de tousser, et sursaute quand une main se pose sur mon épaule.