Steve Gontrand Stevenson. Énigmatique personnage, tout autant que tout ceux qu'il a eu l'occasion de côtoyer durant son séjour dans la prison de Sadismus. Je lève le nez de mes papiers pour avaler une gorgée de café. J'en ai bien besoin. Ça fait des jours que je n'ai prit de rendez-vous avec personne. Je n'en ai pas le temps, pas l'envie. Je suis épuisée, mes yeux sont marqués par des cernes profonds, noirs. Je ne suis sortie de mon bureau qu'en de rares occasions, pour grignoter et glaner quelques informations lorsque j'en avais besoin, me promenant d'une cellule à une autre, posant des questions simples dont les réponses me faisaient toujours frissonner. Ce doit faire trois jours tout ou plus que je n'ai pas fermé l'œil. La crainte me garde éveillée, l'envie d'en découvrir plus me garde loin de ma chambre.
Comment cette frénésie a commencé ? C'est fort simple, mais tellement banal. Un prisonnier est venu me voir récemment, me confiant qu'il avait déjà été agressé par un gardien. Je lui ai demandé de qui il s'agissait, mais au fond de moi, je l'ai deviné quand il m'a dit qu'il était maintenant dans l'autre monde. Stevenson. Carl m'en avait vaguement parlé lors de notre dernier entretien, enfin, il l'avait évoqué. Je n'ai pas porté garde sur le coup, mais maintenant que l'on me reparlait de lui… Puis quelqu'un d'autre est venu, évoquant à nouveau ce gardien que je n'avais jamais connu que de nom ou de vue. Jamais je ne lui avais adressé la parole, j'ignorais même le son de sa voix, ni ne connaissais en détail un seul de ses traits. Je ne l'aurais sans doute jamais reconnu si je l'avais croisé dans la rue. Mais une chose était sûre, le peu que je savais de lui me hantait. J'avais besoin de savoir ce qu'il était, connaître chaque parcelle de sa vie. J'ai fait venir de sa ville natale tous les papiers dont j'aurais pu avoir besoin, les histoires de sa famille. J'ai découvert des choses peu flatteuses sur lui, des choses qui n'ont pas manqué de me faire trembler que je les ai eu toutes assemblées pour forme un grand tableau, un tableau sombre tissé de manière grossière. Mais l'histoire était là, tout y était, tout ce qui était inconnu de la directrice même.
Quand tout a été devant mes yeux, j'ai voulu savoir exactement ce qu'il avait fait entre ces murs froids et humides. J'ai demandé à ses victimes, j'ai même demandé à des gens qui ne connaissaient rien de lui, au cas où… Je n'ai pas réussi à tirer grand-chose des détenus, ni même des gardiens. Aller parler à Carl m'effrayait. Je lui avais déjà soutiré tout ce que j'avais pu comme information, je ne voulais pas lui remettre ses expériences en tête.
Je repose ma tasse sur le chêne de ma table de travail et étouffe un bâillement sonore. Je passe ma main dans ma chevelure et remarque son état lamentable quand mes doigts se prennent dans un nœud gros comme mon pouce. Combien de temps que je ne me suis pas lavée ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mes pieds sont engourdis, je ne me suis pas levée depuis une dizaine d'heures. Mon estomac crie famine, mais je n'y porte que peu d'attention. Pourquoi ? Parce que j'ai tout simplement atteint ma limite. Pour la première fois depuis des années, je sens que je n'aurai pas besoin de mes somnifères pour m'endormir. Je résiste un moment, je ne veux pas dormir. Mais un regard sur la table, sur mon travail maintenant poussé à sa limite, je hoche la tête, m'accordant ce privilège de pouvoir laisser tomber doucement ma tête sur mes bras croisés.